Programme : Conjonctions - par Yves Krier

Bien entendu, l’ensemble des paramètres et des procédés d’écriture évoqués ci-dessus s’interpénètrent dans l’oeuvre d’Olivier Messiaen, comme chez tout compositeur normalement constitué. C’est même lorsque ces éléments sont particulièrement bien équilibrés que le compositeur a donné ses plus belles réussites.

Ce que nous souhaitons évoquer rapidement ici, ce sont plutôt les relations que l’on peut faire entre certaines données essentielles de la personnalité musicale de Messiaen, et qui en donnent elles-mêmes de nouvelles !

Par exemple, la relation Foi / Rythme nous amène naturellement à évoquer le chant grégorien, exemple sans cesse invoqué (à juste titre), que ce soit par Messiaen ou par d’autres compositeurs ou musicologues, pour la richesse rythmique quasi-infinie. En effet, le chant grégorien est caractéristique de cette liberté et cette variété (que l’on évoquait plus haut) des « longueurs de temps » et de leurs successions. Bien entendu, Olivier Messiaen n’est pas venu au chant grégorien de par son attachement à la foi catholique et aux rythmes, mais il était intéressant d’en indiquer ici la logique de pensée.

Si Messiaen appréciait par dessus tout le chant grégorien, s’il admirait le travail qu’avait effectué Charles Tournemire avec L’Orgue Mystique [1], il resta très prudent dans sa propre utilisation. Peut-être, plus que ses prédécesseurs ou son contemporain Jean Langlais[2], restait-il réservé devant une éventuelle « harmonisation » de ces lignes par essence monodiques. D’ailleurs, l’exploitation de lignes grégoriennes, réelles ou « réinventées » (ainsi par exemple l’un des 20 regards sur l’Enfant Jesus, Regard sur l’Esprit de Joie, est-il construit sur un « thème de danse orientale et plain-chantesque » d’une dynamique tout à fait étonnante) est souvent l’occasion pour le compositeur d’écrire une musique monodique – éventuellement en octaves. C’est le cas, en particulier, dans les Méditations sur le mystère de la Sainte Trinité [3], mais pas dans certains extraits de la Nativité [4], où les allusions grégoriennes sont intégrées à la polyphonie, tout en étant régulièrement transformées modalement.

La relation Poésie / Rythme nous emmène immédiatement à la Renaissance, et en particulier chez les poètes et musiciens de la Pléiade, qui renouèrent avec l’étude et l’exploitation des rythmes grecs (comme Olivier Messiaen...). Ce dernier avait, dans ce cadre, une admiration sans bornes pour Claude Le Jeune, qu’il cite souvent, et analyse longuement dans son Traité de rythme, de couleur, et d’ornithologie (somme de l’ensemble des théories et analyses du compositeur, parues en 7 tomes après sa mort). La liberté mais aussi la logique prosodique de Le Jeune a clairement eu une influence directe sur celle de Messiaen[5].

On peut s’amuser aussi à voir dans la conjonction Foi / Poésie / Oiseaux la fascination naturelle du compositeur pour Saint François d’Assise, dont la fermeté d’une foi simple et saine ne pouvait que convenir à Messiaen, mais aussi avec lequel il ne pouvait que se sentir en symbiose, le grand saint étant aussi poète (Cantique du soleil) et parlant aux oiseaux ! Comment s’étonner que l’oeuvre qui tint Messiaen pendant une dizaine d’années, son grand opéra, ait eu pour sujet Saint François d’Assise ? Autre lien intéressant avec sa jeunesse et ses maîtres : Charles Tournemire était lui aussi fasciné par le « petit pauvre d’Assise », auquel il consacra un grand oratorio (qui ne fut jamais ni édité ni créé !)[6].



[1] Voir plus haut : « Jeunesse, genèse », ainsi que concert 3. Olivier Messiaen a même consacré un article à cette oeuvre.

[2] Voir également au concert 3

[3] Concerts 3 et 5

[4] Concert 3

[5] Le titre de sa grande et très belle oeuvre pour 12 solistes vocaux, Cinq Rechants, porte les traces de cette admiration

[6] Charles TOURNEMIRE. Saint François d’Assise, pour soli, choeur et orchestre, op. 52. Composition de 1921 à 1927, en même temps que les deux autres volets d’une trilogie apparemment curieuse : Faust – Don Quichotte – Saint François d’Assise. Charles Tournemire consacra également un cycle d’orgue très poétique au saint : les Sei Fioretti, dont l’une des pièces est jouée au concert 5.